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Dr Jean-Pierre Papart

Les troubles du spectre traumatique (Episode n°1)

Dernière mise à jour : 25 oct.



Avec la série Du Vague à l’âme, nous avons voulu faire une mise au point neuroscientifique sur les bases physiologiques – non pathologique – de la gestion du danger. Avec cette nouvelle série sur Les troubles du spectre traumatique, nous allons aborder la question pathologique et allons donc troquer la physiologie contre la physiopathologie. Toutefois avant d’aborder la maladie traumatique, nous pensons utile d’introduire au concept général de « maladie » sous l’angle de la santé publique. Pour rappel, lors de la série précédente, à l’épisode n°3 Du Vague à l’âme, nous avions jugé utile avant d’aborder le thème de l’émotion sous l’angle des neurosciences de montrer comment la phénoménologie, donc la philosophie, avait apporté un éclairage intéressant sur cette importante compétence humaine et de montrer ainsi que l’on peut exprimer des choses pertinentes en faisant usage de plus d’un modèle théorique.

 

Quelques concepts de santé publique[1].

 

Le système de santé comprend l’ensemble des institutions publiques, privées et asso­ciati­ves dont dispose la population pour rencontrer ses besoins en termes de prévention de la maladie, de soins curatifs et de ré­habilitation, de promotion sanitaire et sociale et d’action sur les déterminants de la santé.

 

Dans la littérature spécialisée, on rencontre des acceptions par­fois très différentes des concepts de prévention primaire, secon­daire, tertiaire, voire quaternaire de la maladie, ainsi que de promotion de la santé. Nous allons redéfinir les choses en séparant nettement la prévention des maladies (Figure 1) de la promotion de la santé (Figure 2). Les définitions que nous allons donner de la prévention primaire, secondaire et tertiaire sont différentes selon que l’on cible la pré­vention de la maladie ou la prévention des conduites à risque et des comportements auto-dommageables. Il est important d’en souligner la différence. En effet, l’identification de la conduite à risque à la maladie n’est pas sans poser de sérieuses questions éthiques, en particulier celle d’instrumenter la santé publique pour faire du contrôle social.

 

La prévention primaire de la maladie a comme fonction d’empêcher ou de di­minuer au maximum la rencontre entre la cause de la maladie et les personnes susceptibles de la contracter.

 

  • Exemple 1 : si la coutume de fumer existe dans une population, que l’environnement n’est donc pas sans tabac, alors le rôle de la prévention primaire des maladies causées par le tabac (can­cers, maladies cardio-vasculaires, dépendance) est d’essayer que les personnes ne commen­cent pas à fumer ;

 

  • Exemple 2 : si le virus de la rougeole circule dans une population, faute d’avoir atteint et maintenu un haut niveau d’immunisation dans la communauté, la prévention primaire consiste à vacciner les individus pour que ceux-ci soient protégés du virus.


Figure 1 : Le système de santé – la prévention de la maladie[2]


La prévention primaire a une action directe sur l’incidence des maladies (i), c’est-à-dire qu’elle dimi­nue le risque d’apparition de nouveaux cas de maladie.

 

La prévention secondaire de la maladie a comme fonction de dé­pister les maladies pour les traiter le plus rapidement possible. La prévention secondaire comprend, non seulement le dépis­tage des maladies asymptomatiques, que la démarche soit collec­tive (dé­pis­tage) ou individuelle (« case finding »), mais aussi celui des mala­dies déjà symptomatiques. Si le traitement est efficace, alors non seulement il empêchera la mort du patient, mais il raccour­cira la durée de la maladie. Il aura donc un impact réducteur sur la prévalence de la maladie (p), c’est-à-dire la proportion des indivi­dus touchés par une certaine maladie à un moment donné ou au cours d’une certaine période donnée. Il y a deux façons qui per­mettent de ré­duire la prévalence d’une maladie : en écourtant la durée "natu­relle" de la maladie (d) et/ou en diminuant son inci­dence (i). La préva­lence est ainsi une fonction du produit de l’incidence par la durée de la maladie (p=f(i*d)). Lorsque la mala­die est déjà symptoma­tique, c’est en général le patient qui est proactif en cherchant à être aidé et le système de santé qui ré­pond à sa demande. Le patient ne peut prendre conscience de son état pathologique que lorsque ce­lui-ci s’est suffisamment dé­veloppé pour avoir une traduction symptoma­tique (par exemple lorsqu’il ressent une douleur). Lorsqu’un diagnostic précoce, c’est-à-dire présymptomatique, est en mesure de modifier sub­stantiellement le pronostic de la maladie[3], alors il est plus efficace que ce soit le système de santé qui soit proactif (dé­pistage et « case finding »).

 

Ces définitions de la prévention primaire et secondaire de la ma­ladie ont l’avantage de lier la prévention primaire aux seules ac­tions de réduction de l’incidence (i) et la prévention secondaire aux actions de réduction de la durée (d) de la maladie.

 

La prévention secondaire vise non seulement à réduire la durée de la maladie, mais aussi à prévenir l’occurrence de ses compli­cations. La prévention tertiaire de la maladie quant à elle a comme fonction de prendre en charge les complications de la maladie afin de réduire le risque d’occurrence de la chronicité de la maladie, du handicap secondaire ou du décès du patient. Le concept de prévention quaternaire est d’usage en psy­chiatrie pour désigner la prévention de la stigmatisation sociale dont sont souvent victimes les malades psychiques.

 

Venons-en maintenant à la promotion de la santé et l’acception des termes de pré­vention primaire, secondaire et tertiaire utilisés dans un contexte non pas en rap­port direct avec la maladie mais bien avec la santé (Fi­gure 2). La promotion de la santé a comme fonction d’agir sur l’environnement pour que les causes des mala­dies soient réduites au maximum d’une part, mais aussi pour que les déterminants culturels soient favorables à la santé.

 

  • Exemple 1 : une politique de promotion de la santé peut rendre indisponible le tabac au niveau d’une population par des moyens financiers, légaux et infor­mationnels (déterminants culturels) ;

 

  • Exemple 2 : une couverture vacci­nale anti-rougeole à ≥90% arrête la circula­tion du virus dans la population protégée (effet sur la causalité de la maladie rougeo­leuse).

 

Figure 2 : Le système de santé – la promotion de la santé

 

La promotion de la santé montre trois modes d’intervention possi­bles : la prévention des conduites à risque, l’éducation et la dé­fense des droits humains, ainsi que l’action sur les déterminants environ­nementaux et sociaux (culturels) de la santé.

 

La prévention des conduites à risque, à l’instar de la prévention de la maladie, peut se décompo­ser en prévention primaire, se­condaire et tertiaire, mais dans un sens différent qu’il convient d’identifier.

 

Exemple : le com­portement suicidaire n’est pas une maladie, contrairement à la dé­pression qui peut y conduire dans un contexte culturel particulier. Mais bien entendu, la conduite à risque peut être cause de maladie, comme des mala­dies peuvent être causes de conduites à ris­que ou de comportements auto-dommageables. La suicidalité peut donc faire l’objet d’une prévention primaire, secondaire et tertiaire :

 

  • Primaire (l’OMS fait usage du concept de pré­vention universelle) : par diminu­tion de l’incidence de la tentative de suicide ou des conduites apparentées (conduite automobile dangereuse, intoxication alcoolique, etc.) dans la popula­tion générale.

 

  • Secondaire (prévention sélec­tive selon l’OMS) : par identification et prise en charge des personnes appartenant aux groupes dits « à risques », pour autant que ceux-ci existent réellement et soient identifiables. On peut discuter la per­tinence de la prévention secondaire du suicide chez les jeunes. Si le groupe à risque considéré est celui des jeunes ayant déjà tenté un suicide, alors le ris­que relatif de récidive est suffisamment élevé pour considérer per­tinente la prévention secondaire appliquée à ce groupe. Cependant, s’il s’agit de groupes où le risque relatif de suicide ou même de tentative de suicide est nettement plus faible comme chez les jeunes en échec scolaire (« drop out ») par exemple, l’indication est nettement plus discutable, en effet le risque de stigmati­sation, lui-même aussi risque de suicide, peut s’avérer aussi important si pas davantage encore. 

 

  • Tertiaire : par prise en charge et suivi médico-social des personnes afin d’assurer la réaffiliation sociale.

 

Le sens donné aux trois composantes de la prévention est clai­rement différent selon que l’on parle de prévention de la maladie ou de prévention des conduites à risque pour soi-même (ex. sui­cide, abus d’alcool) ou pour autrui (ex. violence, abus sexuel, mobbing). Cette autre acception du concept de prévention a prin­cipalement été vulgarisé dans des documents de l’Organisation mondiale de la santé, en particulier dans son « Rapport sur la violence »[4].

 

La seconde dimension de la promotion de la santé – droits hu­mains et empowerment – intervient dans toutes les attributions du sys­tème de santé (Figure 2).

 

La troisième dimension est celle de l’action sur les déterminants environnementaux et culturels de la santé. Comme cette dimen­sion va bien au-delà des prérogatives de la santé publique – tout en l’assumant en totalité – nous proposons le concept d’action pour la sécurité humaine.

 


[1] Ces informations sur les concepts de santé publique permettront – entre autres choses – au lecteur de comprendre les raisons du plaidoyer que nous ferons plus tard contre la prévention primaire de l’Etat de stress post-traumatique (le débriefing psychologique suivant directement et sans discrimination l’expérience à potentiel traumatique).

[2]      Le mot maladie renvoie à trois significations :

Sickness

 Le patient exprime au médecin une plainte repérée dans le jargon médical anglophone comme Sickness, une entité lar­gement influencée par la culture de la société à laquelle appartient le patient.

Illness

La symptomatologie est ce que le pa­tient peut apporter lui-même activement ou passivement en information complémentaire en relation avec sa plainte. Le patient dit qu'il a remar­qué du sang dans les selles, ou bien qu'il tousse. Il apporte ainsi activement au médecin des informations qui constitueront une par­tie de sa symp­tomato­logie. Le reste de sa symptomatologie est aussi apportée par le patient, mais sans qu'il n’en prenne lui-même l'initiative ; pour cette raison nous parlons d'apport symptomatologi­que passif. Par exemple, en palpant l'abdo­men de son patient le médecin éveille une douleur que le patient n'avait pas encore identi­fiée. Ce type d'in­formation complète la symptomatologie ap­portée activement par le patient. La symptomatologie ne constitue pas l'unique ressource information­nelle. A celle-ci vont s'ajouter les signes que le médecin percevra à l'examen du patient sans que celui-ci ne prenne conscience de quelque information complé­men­taire. Si le médecin re­père le signe de silence abdominal, "signi­fiant" d'une in­hibition péristaltique, ce signe n'entre pas dans le champ de conscience du patient contrairement à la douleur éveillée par la palpation abdominale. L'ensemble de cette information, symptômes et signes, va constituer la matière première du rai­son­nement du médecin, en terme médical anglophone on parle de ill­ness.

Disease

Le raisonnement médical prétend inférer un cas en énonçant la maladie - disease - dont souffre le patient à partir d'une règle d'interprétation des résultats de son anamnèse et de son examen clinique. Le raisonnement est basé sur l'hypothèse que le illness particulier mis en évidence chez le patient - résultat : symptômes et signes – correspond à une entité décrite sous le nom de disease x dans les li­vres de médecine. Cette correspondance n'est jamais parfaite, il est rare de re­trouver chez un même patient l'ensemble des symptômes et signes habituelle­ment décrits comme associés à l'entité x. Cette entité x, ou disease x, n'existe en fait que dans les livres de médecine, elle est en quelque sorte l'idée platonicienne de toutes les formes différentes de illness que l'on puisse observer et rapporter à l'entité x. L'inférence diagnostique d'un cas correspon­dant à l'entité disease x reste donc incertaine et doit donc être éprouvée (testée par un raisonnement hypothético-déductif bayésien).

[3] C’est le cas si et seulement si le traitement de la maladie en question a une efficacité supérieure lorsque celui-ci est appliqué dans une phase précoce de la maladie.

[4] WHO, World Report on Violence and Health. Geneva, WHO, 2002.

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